Reportage

Mardi 7 novembre 2023, la classe de moyenne et grande section de l’école maternelle Hôpital Saint-Louis (Paris 10e) a rendez-vous à Césure-Plateau Urbain avec Sarah Clément-Colas. Déployé sur l’ancien campus Censier de l’Université Sorbonne Nouvelle, le tiers-lieu accueille Solidité lumière, une exposition d’Yto Barrada. Sculptures, collages, tissages et dessins occupent l’immense plateau autrefois dédié à la bibliothèque universitaire, baigné d’une vive lumière matinale qui fait vibrer les couleurs des œuvres.

La visite démarre par une déambulation silencieuse derrière Sarah Clément-Colas, qui fige par moments le groupe pour l’inviter à observer, simplement en bougeant la tête et en balayant l’espace du regard. Devant un écran, les élèves réagissent aux images d’Yto Barrada au travail (« elle fait de la magie ») et décrivent ce qu’ils voient. Ils s’arrêtent ainsi devant plusieurs œuvres avant de se réunir autour de la médiatrice, qui leur demande ce qu’ils viennent de voir et note scrupuleusement leurs réponses : des tableaux, un squelette, des vagues, une grande tour avec des sachets de papier dans des petites cases, une grosse corde, une roue, des rouleaux rouges… Parfois, les élèves débattent entre eux pour nommer correctement ce qu’ils voient. Sarah Clément-Colas les aide à préciser leur regard, en les questionnant : où est-ce qu’on trouve du bleu ? « Sur les fenêtres ! » Comment a-t-elle fait ? « Elle a peint les vitres. » Pourquoi ? « Pour faire un algorithme », lance un élève pour expliquer l’alternance des cases bleu foncé et bleu clair sur les vitres.

Parce qu’elle multiplie toujours les façons d’aborder l’exposition, la médiatrice propose maintenant aux élèves de choisir chacun une œuvre à dessiner. Dans son croquis, un garçon a repéré le principe du puzzle sur lequel est construit l’une des pièces, alors que cela n’est pas apparu au cours des échanges à l’oral. Au terme d’une vingtaine de minutes de dessin, chacun va maintenant dire un mot que lui évoque l’exposition. Sarah Clément-Colas va tout noter et la liste leur servira pour préparer la transmission, dont elle explique le principe : « Vous allez travailler pour les grands, j’espère que vous allez les impressionner ».

La transmission

Une semaine s’est écoulée et les élèves ont eu le temps de mûrir ce qu’ils souhaitaient proposer aux étudiants en DSAA (Diplôme supérieur des arts appliqués) Espace – Territoire habités de l’école Boulle, qui viennent leur rendre visite en ce lundi après-midi. L’enseignante annonce un programme en deux temps : d’abord une performance puis des ateliers d’arts plastiques. Les enfants sont assis contre le mur de la salle de motricité. La musique démarre, ils et elles se lèvent et avancent de deux pas, esquissent quelques gestes avec les doigts, comme des rayures verticales et horizontales puis des vagues avec la main. Les élèves sautillent ensuite partout dans l’espace, sur une musique enjouée, avant de s’allonger pour – à plusieurs – former différentes figures. Chacun prend ensuite une petite carte de couleur et l’enroule au sol sur elle-même. Quand les élèves ont terminé de confectionner ces « escargots », ils viennent s’assoir face aux grands, marquant ainsi la fin de la performance. Un premier dialogue s’engage, où les étudiants formulent des hypothèses sur les indices qui viennent d’être distillés et les élèves de maternelle respectent la consigne de ne pas trop en dire sur l’exposition. 

La suite aura un autre décor : la salle de classe, où petits et grands s’assoient autour d’un cercle bleu formé au sol avec du ruban adhésif. Six ateliers sont prévus : encre, collage, fil, fusain, jeu de construction avec des tiges en métal. Chacun va réunir deux étudiants et quatre élèves, dans différentes salles et le couloir. Systématiquement, les enfants montrent aux étudiants ce qu’il faut faire. Au fusain, il s’agit de quadriller la feuille pour créer de grands aplats de gris puis tracer à la gomme des rayures verticales. Dans une autre salle, l’ambiance est particulièrement studieuse : sur une grande feuille blanche de deux mètres de long, on colle des bandes et formes de couleur. Dans le couloir, un fil est tendu, auquel on accroche des feuilles découpées selon différents motifs, à l’aide d’une perforeuse et de ficelle, créant ainsi comme un grand mobile.   

Quand ils parlent des grands qui les accompagnent, les petits disent « mon étudiante », discutent et plaisantent pour savoir qui est « la meilleure étudiante ». La complicité est à la fois immédiate et grandissante. Soudain, un coup de tambourin retentit, signal pour changer d’atelier. Pour certains, on recommence à zéro mais pour d’autres, élèves et étudiants prennent la suite de l’installation entamée : le fil tendu ou le grand collage sont ainsi complétés avec de nouvelles formes. Un dernier coup de tambourin marque la fin des ateliers mais il reste un peu de temps et les élèves vont pouvoir redonner leur performance en salle de motricité, dernière occasion pour les étudiants de récolter encore quelques indices sur l’exposition qu’ils vont bientôt visiter. Au moment de séparer, une élève se précipite dans les bras de « son étudiante », qui la rassure : « On va se revoir ! Ce sera à vous de venir dans notre école ». Dans quelques semaines, les étudiants imagineront en effet à leur tour une transmission, à partir cette fois de l’exposition Défricheuses : féminismes, caméra au poing et archive en bandoulière à la Cité internationale des arts.

Post-scriptum 

En fin d’année scolaire, la Fondation Fiminco (à Romainville) accueille l’exposition Cours de Re-création, où sont proposées les créations de classes volontaires. « Pour certains enseignants, cela permet de tirer un fil tout au long de l’année, explique Sarah Clément-Colas. Certaines œuvres viennent des transmissions, d’autres ont été retravaillées et certaines, imaginées pour l’occasion. Parfois, elles s’inspirent de l’exposition sur laquelle les élèves n’ont pas travaillé, voire ont été créées en commun par les deux classes. » Organisée au mois de juin 2024 pour une semaine, dans une belle salle haute de plafond, l’exposition associe dessins, poèmes, installations, sculptures et une vidéo, qui témoignent du dialogue riche qui s’est instauré entre les élèves et les œuvres au fil de l’année. Et quand les classes viennent la visiter, leur réaction tient en deux mots, comme en témoigne Akémi Cauvé, chargée des actions artistiques et de la diversité des publics au Festival d’Automne : « L’émerveillement – de voir leur production exposée – et la curiosité pour les autres œuvres présentées ».