Édition 2023 – Reportage Atelier du lendemain
Chaque automne, plusieurs classes participent à une expérience unique : après avoir assisté à un spectacle, les élèves se retrouvent – dans les jours suivants – sur les lieux de la représentation pour imaginer ensemble une façon de transmettre aux artistes les souvenirs et traces que leur a laissés leur création. Conçue avec un médiateur et une médiatrice, cette restitution instaure un dialogue rare avec les artistes.
Récit d’un atelier du lendemain autour de la pièce Les Dimanches de Monsieur Dézert de Lionel Dray.
En ce dernier jour de novembre, les élèves de 1ère (spécialité théâtre) du Lycée Auguste Renoir d’Asnières-sur-Seine ont rendez-vous au Théâtre Silvia Monfort (Paris 15e) où ils ont vu, une semaine plus tôt, la pièce de Lionel Dray. Ils et elles sont accueillis dans une salle de répétition par Florence Chantriaux et Jean-Noël Bruguière, qui ont imaginé le principe des ateliers du lendemain et en assurent la médiation : « Nous allons convoquer ensemble des souvenirs et impressions que vous allez transmettre à Lionel Dray. Par le corps, la parole et différentes stratégies, il s’agit de lui faire comprendre comment le spectacle nous a traversés ». Le comédien sera là en fin d’après-midi, les élèves ont trois heures pour travailler sereinement.
La séance commence par quelques moments d’échauffement, des déplacements dirigés dans l’espace, qui obligent les élèves à s’organiser collectivement, interagir et s’adapter. Au terme de ces exercices, on rentre dans le vif du sujet : chacune et chacun va se replonger dans le spectacle et, dans son coin, essayer d’en retrouver une image puis l’incarner. « Prenez votre temps, quand vous avez l’image, laissez votre corps la prendre et tenez-là », indique Jean-Noël Bruguière. Ce travail personnel accompli, les élèves forment un grand cercle pour dévoiler leurs images respectives et reconstituer un souvenir collectif : l’une place les mains devant son visage, une autre se recroqueville au sol, un autre mime le soulèvement d’un objet, etc.
En deux groupes de six, les élèves vont maintenant se transmettre les images qu’ils ont gardées. Sans les expliquer, chacun montre son geste et si besoin corrige les cinq autres qui l’imitent. Ils et elles soignent les détails, les regards, les placements et parfois améliorent les images collectivement. Les deux médiateurs passent d’un groupe à l’autre pour affiner et conseiller : « C’est vous qui décidez et inventez, il faut assumer votre choix et être précis. C’est dans les nuances que l’on raconte quelque chose », souffle Florence Chantriaux. De son côté, Jean-Noël Bruguière insiste sur la respiration nécessaire entre chaque image, le rythme à trouver pour la bonne lisibilité des propositions. Les deux groupes se placent maintenant en ligne pour montrer leur travail, dans une première esquisse de représentation. On pousse un peu plus loin cette idée en travaillant un enchaînement : le premier groupe va s’instal- ler sur le plateau et quand il tiendra sa sixième et dernière image, le second entrera à son tour, tiendra lui aussi cette même image avant d’enchainer avec ses six gestes, tandis que les autres se retirent. D’exercices individuels, on est passé en quelques dizaines de minutes à une forme collective qui fonctionne déjà bien. « Dans son spectacle, Lionel Dray nous a donné quelque chose de fort et d’éner-gique, il faut lui rendre ça », demande Jean-Noël Bruguière.
Concentrés, chacun et chacune poursuit ainsi l’invention de différentes formes. Les suivantes passent notamment par des mots que le spectacle leur a inspirés : certains seront scandés, d’autres sont inscrits sur des feuilles et vont servir à l’élaboration de poèmes. « Il faut que ça vous amuse », encourage Florence Chantriaux tandis que tous recopient leurs brouillons et testent la lecture, en variant les rythmes et intonations. Les textes sont tantôt absurdes et drôles, tantôt plus personnels. En trois heures, le groupe A a ainsi créé une succession de formes aux frontières de la danse, de la poésie et du théâtre, et imaginé des transitions, un déroulé. Après un dernier filage, vient le moment clé de la présentation de leur travail à Lionel Dray. Cela prend la forme d’un spectacle mais c’est un peu plus que cela que les élèves lui adressent : plutôt la restitution des émotions, pensées et ressentis qu’a provoqué chez eux la pièce Les Dimanches de Monsieur Dézert. C’est ce que perçoit le comédien, qui relève d’abord la façon dont leurs propositions entrent en résonnance avec les intuitions qui l’ont guidé dans sa création, avant d’engager un dialogue sur la pièce et son processus de travail.