Entretien avec Thomas Quillardet
Dans le cadre des actions artistiques et culturelles menées à l’université, le Festival d’Automne a débuté un cycle de rencontres entre journalistes, étudiants et artistes. En 2023, les étudiants du master 1 Journalisme culturel de l’université Paris Nanterre, accompagnés de la journaliste Maïa Bouteillet, ont rencontré le metteur en scène Thomas Quillardet à l’occasion de la création de sa pièce En addicto. Dans le sillage de cette rencontre fertile entre les champs journalistique, académique et artistique, les étudiants ont travaillé à une retranscription de cet entretien, enrichissant le dialogue et l’exploration des arts au sein de l’université.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette résidence proposée par le Festival d’Automne ?
J’avais décidé de faire une pause dans mon travail artistique, et j’ai reçu ce coup de fil. Je n’étais pas sûr d’y aller. Mais c’était tellement curieux d’aller dans un hôpital, de proposer des choses en lien avec l’art, que j’ai accepté. Il y avait un budget, une possibilité dans le temps, un intérêt, une trouille aussi… Je me suis laissé porter par le cadre. C’était la première fois qu’on allait tester ce type de dispositif, donc tout était à inventer. Il y avait des services où je ne voulais pas aller. Mes camarades metteurs en scène ont beaucoup choisi la psychiatrie : ça attire pas mal les artistes. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve autre chose. Et j’ai vu ce mot : « addictologie », très abstrait. Je me suis dit que là, j’étais sûr que j’allais rencontrer des gens qui allaient pouvoir me dire ce qui leur arrive avec lucidité, pas comme en gériatrie ou en psychiatrie.
À quel moment avez-vous décidé de faire un spectacle de votre expérience ?
Au moment de la fermeture du service. J’avais déjà un peu le pressentiment que j’avais des récits de vie intéressants à raconter. Mais avec la fermeture, je me suis dit qu’on passait du micro, c’est-à-dire d’un patient, au macro, c’est-à-dire l’hôpital public.
Concernant la démarche documentaire, qu’en a-t-il été du secret médical ?
Juridiquement, je n’y suis pas soumis. À partir du moment où ils ont fait entrer un artiste dans le service, ils pouvaient s’attendre à ce qu’il y ait quelque chose qui en ressorte. Mais je devais faire attention : c’est une question d’honnêteté, de respect de la parole. Je ne voulais pas que les gens soient reconnus. Ça m’a aidé à me décoller du réel, à être un peu plus libre dans l’écriture. J’ai croisé et décroisé des parcours, j’ai inventé des prénoms. Il y a trois histoires racontées qui sont presque au mot près ce que j’ai entendu. J’ai demandé l’autorisation des personnes concernées. Pour le reste, ils ne peuvent pas se reconnaître, c’est trop flou.
Est-ce que vous avez eu l’impression de participer aux soins des patients ?
Je ne dirais pas que j’ai participé aux soins. Mais j’ai vu que le théâtre pouvait être intéressant parce qu’il y avait chez eux un déficit d’engagement corporel, d’engagement au sens de regarder l’autre en face. Je me suis dit que c’était un élément que le théâtre pouvait apporter pour une prise de confiance, pour reprendre goût au lien avec l’autre.
Il y a plusieurs occurrences où les « scènes » se terminent sur des questions sans réponses : « qu’est-ce que je fais maintenant ? », « c’est quoi la solution ? ». Pourquoi ?
La première raison, c’est la dramaturgie théâtrale. C’est un dispositif d’écoute : ne pas répondre à vos questions, c’est vous mettre en attente de quelque chose. La deuxième chose, qui est peut-être plus liée à l’hôpital, c’est que le soin de l’addiction est en suspens dans le temps. Un patient peut être abstinent pendant dix ans et replonger pour une raison idiote.
Pendant le spectacle, le public a l’impression d’être dans le cercle de parole sans pouvoir jamais intervenir. C’était votre intention ?
Oui, il y a quelque chose comme ça. C’est voulu parce que je suis en adresse vers vous. Mais je ne veux pas vous mettre mal à l’aise, donc je coupe très vite [ce dispositif, ndlr]. C’est pour rappeler ces groupes de paroles que j’ai vécus. Le théâtre est un groupe de parole, en un sens. Donc oui, ça questionne ce lien à la parole.
Pensez-vous jouer ce spectacle dans des services d’addictologie ou des hôpitaux ?
À l’époque où je l’ai écrit, je disais que c’était un spectacle tout terrain. Mais je crois que je n’ai plus trop envie de le jouer devant des gens concernés par l’addiction. Je crois aussi que c’est bien que ça se passe dans un théâtre, que ces personnes ne restent pas tout le temps dans l’hôpital. J’espère pouvoir le jouer dans des centres de formation d’infirmières, ça, ça m’intéresse.
Propos recueillis par Vincent Théval, mars 2024.