Morton Feldman / Luciano Berio

Cycle Morton Feldman / Coptic Light...

Archive 1997

Alternim,
concerto pour alto, clarinette et orchestre
Luciano Berio
Coptic Light, pour orchestre
Chorus and Orchestra II
Morton Feldman
Christophe Desjardins
, alto
Paul Meyer, clarinette
Choeur de la Radio de Berlin
Directeur, Robin Gritton
Orchestre symphonique du Sûdwestfunk
Direction, Michael Gielen

Parmi les musiciens nord-américains de ce siècle, Morton Feldman est celui dont l'oeuvre considérable n'a toujours pas reçu sa légitime reconnaissance internationale. Mort en 1987 à l'âge de 59 ans, ce new-yorkais occupait depuis 1972 la chaire Edgard Varèse de l'Université de Buffalo. Pour autant, on ne saurait le classer au nombre des post-varésiens. Ni des minimalistes, répétitifs ou post-sériels. Ni même des émules de John Cage, malgré leur profonde complicité. Pendant l'hiver 1949-1950, ils avaient découvert avec un émerveillement partagé l'Opus 21 de Webern. Et Feldman n'oublierait jamais la réaction de Cage -"un cri aigu de singe"- quand il osa lui montrer l'une de ses partitions. "Très franchement, écrira-t-il plus tard, je ne sais pas comment ma musique aurait tourné si John ne m'avait pas autorisé si tôt à faire confiance à mes instincts". Instinct ne veut pas dire laisser-aller. Feldman composait, comme tout un chacun "avec ses oreilles, son intelligence et ses doigts". Le résultat (près de 100 opus au total) démontre cependant que sa manière d'écouter, de penser et de toucher le clavier lui était éminemment personnelle. Feldman aimait les poètes : dans son opus I, Only, une voix a-cappella trace une arabesque parfaite sur les mots d'un poème de Rilke; la solitude lui deviendra au fil des ans une éthique (aux jeunes : "tout ce que je peux leur souhaiter pour la vie, c'est d'être seuls"), une esthétique : ("pour moi, tout ce qui est beau est fait dans l'isolement"). Feldman était l'ami des peintres : Philip Guston, coloriste surréel, Rauschenberg, De Koonig, Rothko surtout; auquel il dédia, à l'occasion d'une installation, son oeuvre la plus émotionnelle, Rothko Chapel. Certaines phrases de Rothko pourraient d'ailleurs être attribuées à Feldman ; "Il y a des peintres qui veulent tout dire, moi je trouve plus subtil de dire peu". Ou, mieux encore ; "Nous sommes pour l'expression simple d'une pensée complexe".
Comment, enfin, ne pas reconnaître l'étroite parenté des oeuvres de maturité de Rothko dans les années 50 et du Feldman de Why Patterns ? (1978), de Triadic Memories (1981) et de Three Voices (1982), même ce dernier ouvrage demande à être apprivoisé. Chez Rothko, on entre dans la couleur : nuages vaporeux aux contours estompés, glissements de transparences sans césures imagées. Chez Feldman, on entre dans le son ; intervalles de demi-tons longtemps répétés puis étirés ou superposés; accords énoncés lentement et pianissimo, le même puis ses différents renversements, tous apparemment semblables mais toujours différents; pas de motifs, pas de pulsations rythmiques, pas de contrastes dynamiques. Le moindre "événement", changement d'allure, d'amplitude, de trajectoire (linéaire ou tournante) devient un coup de théâtre, proportionné à l'intensité de la paix intérieure que cette musique sait, dans l'étirement de ses durées, installer dans notre subconscient.