Bruno Meyssat
Les Disparus
Les Disparus
Visions posthumes ou prémonitoires de quelques passagers du Titanic
De Bruno Meyssat
Mise en scène, lumière et scénographie, Bruno Meyssat
Costumes, Dominique Vial
Son, Jacques Berne
Avec Christine Marjorie Bertocchi, Geoffrey Lawrence Carey, Philippe Michel Cousin, Elisabeth Marie Moreau, Jean-Michel Jacques Rivinoff, Viviane Paulette Serry
La sensation mélancolique liée au naufrage du 15 Avril 1912 est aussi prégnante quand on regarde la photographie prise lors de la mise à l'eau du bateau le 31 mai 1911 que celle représentant le phare de Cape Race qui, durant deux heures et quarante minutes, servit de relais aux messages radio désespérés entre le Titanic en train de sombrer et les navires croisant dans les eaux proches.
Le phare de Cape Race fut comme une plaque sensible qui tente de recueillir l'impossible image du paquebot s'enfonçant tous feux éteints. Il demeure un point de l'espace exposé quelques heures durant aux effets lointains d'un autre espace, foyer d'une immense camera obscura dont le sujet effroyable a disparu.
Le fil de soie qui se tendit là, durant cette nuit de légende, entre plusieurs opérateurs radio, tisse sa trame onirique autour d'un des rapts les plus considérables pratiqués par l'invisible sur notre monde.
La place laissée vide par le Titanic ne fut même pas regardable, car l'océan est le moule le plus improbable. Cette portion sombre de l'espace marin fut évitée pendant plusieurs années par tous les équipages du monde, et devint le cimetière le plus secret.
Ces faits nous évoquent la hantise des grecs de l'Antiquité à l'égard des marins disparus dont on n'avait pas retrouvé la dépouille. L'errance du défunt à travers le monde des vivants et des morts était redoutée ; la crainte des proches était telle que l'on procédait à des funérailles où, en place du cadavre, on enterrait une grosse roche de forme humaine afin d'y fixer l'âme du disparu et de l'apaiser. Ce besoin de nommer, de situer la disparition, nous dit assez le pressentiment qu'ont les hommes de la fragilité des cloisons qui les séparent des tournoiements de l'invisible, des sans-nom.
Ces points aveugles sont remisés et toujours proches. En eux reposent la fascination et l'effroi. Le Titanic est un de ces points aveugles.
Tenter de convoquer toutes traces, fussent elles imaginaires, d'une perte, déposer sur le présent d'un plateau cet hier incroyable, s'efforcer de reconstituer ne serait-ce que l'empreinte du drame, n'est-ce pas là le chantier naturel du drame ?
L'espace du plateau, l'âme de la lumière et l'énergie des acteurs sont en lutte permanente avec les points aveugles de l'espace et du temps. Il est peu étonnant que la bouche d'ombre laissée par le Titanic interpelle la camera obscura du théâtre et sa chimère de ré-incarner sans cesse les disparus, qu'ils soient paysages ou humains.
Bruno Meyssat
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