Ornette Coleman & Prime Time

Sans calcul ni stratégie d'aucune sorte, Ornette Coleman n'a cessé de planter là les publics qu'il venait de s'attacher : abandonnant sèchement les fous du free au moment où il était en passe de devenir leur dieu, délaissant cette espèce de free-funk débridé qu'il avait inventé, juste avant qu'il n'envahisse la mode, apparaissant chaque fois là où personne ne l'attend, et se faisant, en toute douceur comme en toute timidité, une involontaire spécialité du scandale. Mais il n'aura jamais tant laissé pantois qu'avec sa bouleversante symphonie des Skies of america. Son rêve, enregistré en 1972, est celui de l'impossible : d'un orchestre symphonique qui changerait de climats et de vitesses avec la grâce d'une improvisation collective. depuis des années, Ornette Coleman rêve de faire jouer ce rêve, et nous, nous avons commencé de rêver à l'entendre.
Francis Marmande, Le Monde - Jazz magazine