Jacques Lassalle
Remagen
d'après L'excursion des jeunes filles qui ne sont plus
Remagen
D'après L'excursion des jeunes filles qui ne sont plus
De Anna Seghers
Mise en scène : Jacques Lassalle
Texte français : Joel Lefebvre
Scénographie et costumes : Yannis Kokkos
Montage sonore : Alain Olivier
Contribution au travail - préparatoire : Bernard Eisenschitz
Avec : Agathe Alexis, Anouk Grunberg, Françoise Lebrun, Elsa Peirce, Anna Prucnal, Emmanuèle Riva, Emmanuèle Stochl
Une langue de sable enclose de murs blancs. Une sorte de jetée, propice aux promeneurs traverse l'image, courant sans doute vers la haute mer.
Le voyageur interrompt sa marche un moment. Une adolescente lance des balles de couleur et s'invente des jeux. D'autres femmes passent, s'aventurent parfois sur le sable, puis s'effacent. Il n'est question de rien d'autre que de la chronique menue d'un coin de plage, hors saison, dans la lumière sans ombre d'un été finissant.
Deux heures s'écoulent ainsi. Il est encore très tôt dans l'après-midi. Mais un texte traverse les corps. La mémoire saisit le vif. Soixante années de notre histoire fluent et refluent dans le dire de ces femmes vacantes?
Pourquoi le récit d'Anne Seghers, écrit après longtemps et de bien loin -au Mexique en 1943- et dont notre lecture aujourd'hui accentue encore l'éloignement, pourquoi le récit de cette excursion, un jour d'été, au bord du Rhin, d'une classe de jeunes filles allemandes qui ne sont plus -c'était avant les guerres, du temps que les collégiennes portaient des robes bleues rehaussées de cols marins- réveillerait-il si fort en nous, après tant de jours et de traverses, le désir d'un eden perdu, s'il ne subsistait dans notre présent, la trace irréductible d'un passé qui nous serait commun ?
La question du récit occupe singulièrement nos théâtres. Il ne serait pas sans intérêt d'en cerner les motifs. Pour ce qui nous concerne, nous pardonnera-t-on, après tant d'autres, ce nouvel essai ? Jamais, en tous cas, nous n'avions à ce point négligé les précautions d'usage. Point ici d'adaptation, de commentaire, de dramaturgie "emboitée". Un texte est au coeur de la représentation, nu, inentamé, incontournable. Questions : le théâtre peut-il entretenir avec l'écriture un rapport qui ne soit pas de subordination ou pour mieux dire, de compromis réciproque ? Plus généralement, peut-on faire du théâtre de ce qui, à sa lisière, l'excédant -roman, film, musique, formes d'expression infra-culturelles, vie quotidienne, sans parler de tout le refoulé des discours dominants- ne cesse pas pour autant de l'informer et de nous interroger ?
La réponse ne nous appartient que partiellement. Mais, pour ce qu'elle comporte de risque, nous en prenons volontiers le parti.
Jacques Lassalle (6 juillet 1978)