Antoine Vitez
L'Ecole des Femmes / Le Tartuffe / Don Juan / Le Misanthrope
L'Ecole des Femmes / Le Tartuffe / Don Juan / Le Misanthrope
de Molière
Mise en scène : Antoine Vitez
Assistante : Ewa Lewinson
Décor et costumes : Claude Lemaire
Il s'agit des quatre pièces qui font la clef de voûte de l'oeuvre de Molière. On a réuni pour cela une compagnie d'une douzaine d'acteurs ; on aura répété pendant six ou sept mois simultanément les quatres pièces pour les jouer ensuite séparément. On réinvente, modestement, des idées très connues déjà ; primitives, essentielles : la compagnie, l'alternance, l'unité de temps et de lieu.
Chaque pièce est l'histoire d'une journée. Cela se passe le jour où. Rien ni avant ni après. Le Misanthrope a lieu le jour où Alceste sera vu pour la dernière fois dans le monde. Un peu comme si la pièce racontait la mort de quelqu'un. Molière peut-être. Après, rien ne sera plus comme avant. Cette idée conduit tout. La comédie, chaque fois, s'achève la nuit, ou au point du jour. Il n'y a qu'un seul décor pour les quatre pièces ; il représente à la fois l'intérieur et l'extérieur, suivant qu'on joue le Tartuffe ou l'Ecole des Femmes. Les meubles sont seulement deux chaises, une table ; il y a aussi des flambeaux et un bâton. C'est ainsi que la Compagnie de Molière donnait le Tartuffe. On fait apparaître, dans les quatre pièces, les correspondances entre les personnages et les situations ; les acteurs copient les personnages d'une pièce sur l'autre et celui qui joue un valet ici en garde un peu quelque chose pour jouer un seigneur là-bas. Ou l'inverse. En gros, c'est toujours le même homme avec toujours la même femme. Molière, toujours, vieux tyran domestique et amant juvénile. Et les femmes ne sont pas peintes en elles-mêmes ni pour elles-mêmes, mais relativement à lui, il faut l'avouer.
Don juan et Alceste la même flamme les brûle. Martyrs l'un et l'autre. Leurs discours se ressemblent. Si l'athéisme a besoin de martyrs, mon sang est tout prêt, dit le marquis de Sade. Pour moi Tartuffe et Don Juan c'est encore l'image du Christ et pas Jésus de Nazareth. C'est pour cela que Tartuffe, selon moi, est une pièce athéïste, parce que le personnage qui passe, qui est-ce ? Il ressemble au personnage des pélerins d'Emmaüs c'est-à-dire celui dont on ne sait ni d'où il vient ni où il va : Tartuffe, c'est exactement cela. Et Don Juan qui est son frère, on ne sait pas non plus ni d'où il vient ni où il va... Si, on sait qu'il va en enfer finalement (et Tartuffe aussi sans doute) mais enfin...
Don Juan vient de nulle part. Tartuffe, c'est encore plus intéressant, son origine est trouble. Sa destinée également. Tartuffe va peut-être s'échapper, revivre, réapparaître. Et ce personnage passe à l'intérieur de cette famille, semblable au Royaume de France, avec son roi, son père qui est Orgon, son Molière qui est féminin en l'occurence et qui est Dorine. Je pense que Dorine est tout à fait proche de Molière ; elle en a la qualité servile puisqu'elle n'est jamais qu'une servante, de la même manière que Molière n'était que "valet de chambre du Roi" et, comme dit Michelet, ce titre lui pesait toujours ; il n'a jamais pu échapper à cette situaton sociale servile. Dans cette famille où il y a tous les personnages du Royaume, en définitive représentés comme des symboles, quelqu'un passe, qui est celui qu'on appelle en grec le Xenos Akalestos : c'est l'étranger que l'on n'a pas invité.
Au fond de tout cela vit la vieille forme des mystères et des farces. Le passage du Malin, le mari sous la table, le barbon cornard ou l'atrabilaire amoureux.
Antoine VITEZ